[81]AUX DIEUX DOMESTIQUES…
Aux dieux domestiques j’ai donné sans liesse
Les fleurs merveilleuses, que je n’ai point cueilli,
Et des sentiers nouveaux l’ardeur et l’allé-gresse,
L’espoir infini.
De mon âme inquiète l’essor voyageur
Vers l’ombre de la nuit et vers l’or des matins;
Des pays inconnus les parfums, les couleurs,
Le blé et le vin.
Aux dieux domestiques j’ai donné les mirages
Des claires fontaines et des cites de rêve;
J’ai donné les souffles qui vers d’autres rivages
Dirigent sans trêve.
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A ces dieux j’ai donné, et sans parcimonie,
Les déserts de sables et l’horizon avide,
Des vaisseaux disparus les sillons infinis
Sur la mer placide.
Sans joie, sans colère aux dieux domestiques
J’ai donné l’avenir et son charmant mystère,
Des amis inconnus le sourire mystique,
Les fronts de lumière.
J’ai donné l’or du Rhin et les brumes de Thulé,
Le rhytme de mes pas, mon allégresse intime...
Mais des dieux maussades j’entends les voix mêlées:
»Paye enfin ta dime!«
S….... 19. I. 1914.